Livres en partage – septembre 2018
Organisateur : Éric Broquère
Danièle Charpy a lu
Guerre et térébenthine de Stefan Hertman (écrivain flamand).
A la mort de son grand-père, S.H. découvre les cahiers dans lesquels celui-ci a relaté sa vie : une vie sans œuvre digne de sortir de l’oubli.
Le temps de l’enfance, très pauvre auprès d’un père aimé, malade, restaurateur dans de petites églises. A la mort de son père, à 13 ans, il travaille dans une fonderie.
Le temps de la guerre, il est le soldat humble héros des tranchées où il vit l’épouvante.
Vient enfin le long temps de la vie ordinaire. Sa fiancée, morte de la grippe espagnole, il épouse sa sœur et vit retiré, silencieux, peignant inlassablement des copies dans lesquelles le petit-fils décelle des indices sur la vie intérieure de son grand-père, cette vie qu’il actualise.
Anne Roche
Javier Cercas, Le monarque des ombres, traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic avec la collaboration de Karine Louesdon, Actes-Sud, 2018.
Javier Cercas s’était juré de ne jamais écrire de livre sur son grand-oncle Manuel, tué à la bataille de l’Èbre, à dix-neuf ans, – dans les rangs franquistes.
Il se l’était juré d’autant plus que le tonton est une légende familiale : tous ses frères et sœurs (dont la mère de Javier) ont son portrait au mur, et on ne se lasse pas de raconter ses exploits. Et d’autant plus qu’il ne veut pas « être écrit par sa mère », c’est-à-dire accomplir le destin que sa mère, croit-il, lui a prescrit.
Il se trompe. Comme le prouve le dialogue final avec sa mère, où celle-ci, beaucoup plus fine qu’il ne croit (et que ne croyait le lecteur), lui balance :
« Depuis quand tu écris tes livres pour que je les aime ? » Ce mot libérateur va permettre à Javier Cercas de s’apercevoir que le destin (celui de Manuel, et le sien) n’est pas forcément écrit par les mères – et que, même si Manuel est mort dans le « mauvais » camp, ce n’était pas forcément pour de mauvaises raisons.
Geneviève de Broch,
Et la lumière fut de Jacques Lusseyran
Né en 1924 à paris, Jacques Lusseyran devient aveugle à 8 ans. Alors qu’il est aveugle, il entre en résistance. Arrêté par la gestapo en 1943 et enfermé à Fresnes, il sera déporté à Buchenwald. Il arrive à survivre à cet enfer.
En 1955, il accepte un poste à l’université privée de Hollens College aux Etats-Unis. A 46 ans, il décède dans un accident de voiture.
Christian Baby
Bakhita de Véronique Olmi
Arrachée aux siens par des négriers musulmans, elle en oublie jusqu’à son nom. Ses seuls repères seront désormais l’es horreurs d’une marche harassante dans le désert du Soudan. Nous sommes en 1876, la gamine a 7 ans. Par sadisme, ses maquignons l’appelleront Bakhita, qui signifie « chanceuse ». Pour survivre, elle s’évade à travers une comptine devenue credo : « Quand les enfants naissent de la lionne… ». Elle se raccroche à la petite Binah, encore plus jeune qu’elle. « Je ne lâche pas ta main » devient un acte de foi. Bakhita cherchera toujours une main secourable et à secourir.
Car Bakhita a existé. Vendue cinq fois avant que le consul d’Italie à Khartoum ne décide de la ramener chez lui. Elle a alors 16 ans et devient domestique en Vénétie : « Ce n’est pas fini l’esclavage. C’est simplement plus lent et moins bruyant ». Le régisseur de ses maîtres l’adopte et se démène pour lui offrir une éducation. Ce sera à l’Institut des sœurs canadiennes à Venise. Et le jour où sa maitresse vient la reprendre, la voix grave de Bakhita résonne dans le parloir : « Non ». Ce simple mot stupéfie. Elle a osé : « Je sors pas, je reste ».
Son procès initié par la mère supérieure pour la libérer de son statut d’esclave, passionne toute l’Italie.
Devenue religieuse, Bakhita se dévouera aux enfants les plus démunis. Elle meurt en 1947. En 2000, sous le pontificat de Jean-Paul II, elle devient la première sainte soudanaise, la première femme noire devenue sainte sans passer par le martyre. Le Pape dira à son adresse : « Il n’y a que Dieu qui puisse donner l’espérance aux hommes victimes des formes d’esclavages anciennes et nouvelles ». Refermant le roman de Véronique Olmi, c’est surtout la foi en l’écriture qu’on renouvelle, cette écriture qui, durablement, a inscrit dans notre esprit le prénom d’une petite esclave qui n’en avait plus.
Huguette Bailly
Falaise des fous de Patrick Grainville
Roman foisonnant, mêlant histoire et philosophie en suivant la création des peintres impressionnistes, le tout à travers le récit d’une vie d’un homme abîmé par la guerre coloniale d’Algérie, par la perte de sa mère très jeune et qui se retrouve à Étretat.
Sa vie aurait pu être morose, pas du tout, il rencontrera les plus grands peintres, écrivains de l’époque grâce à ses deux amantes.
La peinture certes mais aussi la vie de l’époque, les ports, la vie mondaine, les découvertes, les grands figures de l’époque comme Victor Hugo.
On côtoie les horreurs de la guerre, la haine des allemands mais aussi les espoirs du communisme.
On trouve dans le livre de belles pages sur la peinture et sur l’acte de création.
Toujours Huguette Bailly
Terres promises de Milena Angus
Un livre pour nous dire que la terre promise n’existe pas. Deux possibilités : continuer à chercher ou s’arrêter dès que l’on arrive quelquepart où on se sent bien, simple humain.
Pour aboutir à cette fin, on parcourt la vie de Raffaele et d’Esther.
Livre philosophique, écrit dans une écriture simple. On est pas seulement lecteur, on est dans la vie.
Eric Broquère a lu quelques extraits de
Un homme qui dort de Georges Perec
Cet homme a 25 ans, pris d’une immense lassitude, il se sent comme un « sac de plâtre , engourdi, immobile, tu ne veux que l’attente et l’oubli ». Il décrit les fissures du plafond, le bruit de l’eau qui goutte, le goût de son Nescafé.
Il dort le jour, marche la nuit « ne plus rien vouloir, attendre jusqu’à qu’il n’y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir, te laisser porter par les foules, par les rues…être sans désirs, sans dégout, sans révolte…quelquechose va commencer qui n’aura jamais de fin : ta vie végétale, ta vie annulée’.
« Tu es invisible, limpide, transparent, maintenant tu es le maître anonyme du monde…tu passes ton chemin, tu es inaccessible’.
Jusqu’à la prise de conscience de sa solitude et de son malheur. « Mais le jeu est fini, la grande fête, l’ivresse fallacieuse de la vie suspendue, le monde n’a pas bougé et tu n’as pas changé. L’indifférence ne t’a pas rendu différent ».
« Non, tu n’es plus le maître anonyme du monde, celui sur qui l’histoire n’avait pas de prise, celui qui ne sentait pas la pluie tomber, qui ne voyait pas la nuit venir. Tu n’es plus l’inaccessible, le limpide, le transparent. Tu as peur, tu attends place Clichy que la pluie cesse de tomber.